Yalouz: «Garder cette dynamique»

Au-delà des chiffres et des statistiques, Ghani Yalouz, le directeur technique de l’athlétisme, s’attache à accompagner les athlètes, à être à leur écoute, à fédérer une véritable équipe pour être performant lors des grands rendez-vous.
 
 
 «Les statistiques 2014 des bilans mondiaux placent les athlètes français sur huit podiums, deux sur la plus haute marche (Lavillenie, Diniz), quatre en argent et deux en bronze. A deux ans des Jeux Olympiques de Rio, qu’est-ce que cela vous inspire?
Rien. Pour moi, cela n’a aucune valeur. Je viens d’un sport, la lutte, où les statistiques ne sont absolument pas parlantes. Cela peut conforter l’athlète et le coach, les décomplexer, mais c’est tout. Car une compétition majeure, ce n’est pas un meeting. Il y a un enchaînement de séries, quarts, demies et finale. C’est très long. Les statistiques permettent juste de dégager les athlètes qui ont un fort potentiel, ceux sur qui il faut investir.

En 2010, il y avait sept podiums mais deux ans après, vous avez eu seulement deux médailles aux JO de Londres. Est-ce la preuve qu’il faut se méfier des chiffres?

Oui, même si Teddy Tamgho était blessé et que le 4x100m hommes pourrait récupérer la médaille de bronze (suite au contrôle antidopage de l’Américain Tyson Gay), on est loin du bilan 2010 de sept médailles, dont deux en or. On sait que certains ont le niveau, comme Yohan (Diniz), Renaud(Lavillenie), Teddy (Tamgho),  Kevin (Mayer), Eloyse (Lesueur)… Mais prenez un garçon comme Pierre-Ambroise Bosse. Sur un meeting, il est très rapide. Mais aux Championnats du monde et aux JO, il va devoir bosser pour enchaîner trois séries de 800m. Il y a une spécificité à chaque discipline. Moi, je suis là pour accompagner les athlètes.
 

«La lutte apprend l’humilité, le partage, le soutien»

Justement, depuis que vous êtes DTN de l’athlétisme (en 2009), on a le sentiment que votre rôle a été de bâtir une véritable équipe de France.
Oui, j’ai voulu cela. L’objectif premier était centré sur l’athlète et son environnement. C’est l’athlète qui fait le système, pas l’inverse. Il a besoin qu’on l’accompagne, mais sans aller non plus jusqu’à le bercer d’illusion. Le phénomène déclencheur a été le passage obligé par les Championnats de France. L’amour du maillot commence déjà par celui de son club. Les petits jeunes, comme Pascal Martinot-Lagarde, qui courent à côté de Ladji Doucouré, ceux qui marchent avec Yohan Diniz ou qui sautent en compagnie de Renaud Lavillenie ou Eloyse Lesueur, cela créé une émulation. Après, il y a les regroupements. Il n’y a plus de groupes mais une équipe de France. Les manières d’entraîner sont différentes, on prend cela en compte, mais il doit y avoir une seule dynamique.

Est-ce que votre expérience de la lutte (il a été vice-champion olympique en 1996, avant d’être entraîneur puis DTN) vous a servi?

Oui, car on y apprend l’humilité, le partage, le soutien. Mais c’est la volonté des hommes qui fait que cela peut réussir. Les athlètes, les coaches, le staff, s’ils n’adhérent pas au projet, c’est foutu. Quand je suis arrivé, je me suis rendu compte que les athlètes ne se connaissaient pas, ou très peu. Le seul luxe que je me suis permis avec eux, c’est de prendre du temps, d’échanger. L’athlète, ce n’est pas quand il gagne qu’il a besoin de toi. C’est lorsqu’il va mal, qu’il est blessé ou dans le doute. On a cherché à inculquer cet état d’esprit dans la dynamique du staff technique. L’une des plus belles images que je garde, c’était l’an dernier en Afrique du Sud. On y retourne d’ailleurs cette saison, à plus de quatre-vingt, toutes catégories d’âge et toutes disciplines confondues. De voir Mélina Robert-Michon donner des conseils à Kévin Mayer au lancer du disque, de voir Baala, Mekhissi, Tahri faire des séries ensemble et leur associer Diniz à la marche à côté… C’est génial!
 
«A plusieurs, on va beaucoup plus loin»Echangez-vous beaucoup avec vos collègues DTN des autres sports?
J’ai la tête dans le guidon. Dans ma tête, je suis toujours un athlète de haut niveau. Alors je partage, j’échange beaucoup avec les autres DTN. Je suis plutôt avide de prendre des autres. Car j’ai un système qui est complexe, un sport multidisciplinaire, individuel mais aussi par équipes (pour les relais). Quand j’étais à la lutte, j’allais voir le judo pour savoir comment ils réussissaient. On est plus intelligent à plusieurs.

Que pensez-vous de la réussite actuelle du sport français?

La gagne amène la gagne. Quand on voit d’autres sports qui ont des résultats, il est logique de se dire : «pourquoi pas moi?» C’est une spirale positive pour tout le monde. Aux JO, dès qu’il y a la première médaille d’or, cela déclenche des ondes positives. C’est important pour tout le sport français, même si aujourd’hui je me concentre essentiellement sur l’athlé car c’est la mission que m’a confiée le ministère. Mon objectif, c’est de restaurer l’union sacrée, de garder cette dynamique et, surtout, de préparer l’après.»
François PEISSON 

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